Conseils d’administration : Femmes, nous vous voulons
Depuis l’obligation des quotas féminins dans les conseils d’administration, les grands groupes réclament des femmes aux chasseurs de têtes.
Il a fallu une loi, celle du 20 janvier 2010, pour que les grandes entreprises se découvrent soudain une admiration pour les qualités féminines, si rares, si précieuses, etc., etc. En effet, en ce début d’année, l’Assemblée nationale adoptait le projet de loi déposé par Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann pour imposer dans les six ans à venir un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées. Le chiffre a fait frémir du côté du CAC pourtant lui-même 40. Tout un symbole ! En effet, selon les statistiques de l’Union européenne 2008, la France ne compte que 9 % de représentantes du sexe féminin comme administratrices, un des pires scores d’Europe, dépassée seulement par la Belgique, l’Italie, l’Espagne, l’Irlande et la Grèce. Et très loin derrière le bon élève, la Norvège qui en enregistre 41 %, pile dans les normes.
En 2009, le résultat français n’avait pris qu’un petit point et atteignait la limite de 10 %. Cinq entreprises n’avait toujours aucune femme dans leur conseil d’administration : Cap Gémini, EADS, STMicroelectronics, Vallourec et Véolia environnement, selon une enquête de l’IFA (Institut français des administrateurs) et l’EPWN (European Professional Women Network). En revanche quatre avaient glorieusement franchi le seuil des 20 % : BNP Paribas avec 28,5%, Michelin avec 25%, L’Oréal avec 21,4% et Pernod Ricard avec 21,4%. Et on cite alors toujours les mêmes : Anne Lauvergeon pour Areva, Patricia Barbizet pour Artemis, Laurence Parisot, pour le Medef, Virginie Morgon pour Eurazeo.
Il y a donc urgence en 2010 pour remettre les compteurs à l’heure, puisque selon les calculs de Marie-Jo Zimmermann, il faudrait recruter 1 350 administratrices cumulant deux mandats ou 555 avec cinq mandats.
Les grandes boîtes se sont donc précipitées sur leur téléphone pour demander à leurs chasseurs de têtes top executive de leur trouver absolument des femmes qui puissent figurer dans leurs quotas. C’est ainsi qu’on a vu entrer Bernadette Chirac au sein des seins du groupe LVMH, pour remplacer Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie française, qui, d’abord pressentie, avait préféré poliment décliné. Bernadette Chirac rejoignait ainsi la seule autre femme qui siégeait au conseil d’administration du leader du luxe, Delphine Arnault, fille du p-dg, Bernard Arnault.
Ce qui ne manqua pas de provoquer moult réactions et interrogations sur la nomination de Bernadette Chirac. « Je n’ai absolument rien contre Mme Chirac, ni d’ailleurs contre Mme d’Encausse, mais pourquoi choisir des femmes qui ont dépassé 60 ans ? », demande Claire de Montaigu, associée et présidente du directoire du cabinet de chasse de têtes Leaders Trust.
D’autres cependant ont suivi qui avaient des états d’entreprise plus avérés, comme Laurence Boone, chef économiste de Barclays Capital France, Yseulys Costes, p-dg et fondatrice de la société 1000mercis.com, spécialisée dans le marketing et la publicité sur Internet pour le groupe PPR, la Hollandaise Jacqueline Tammenoms Bakker, ancienne directrice générale des Transports et de l’Aviation civile aux Pays-Bas, Dominique Hériard-Dubreuil (Rémy-Cointreau) et Aliza Jabès (Nuxe) chez Vivendi, et chez AXA, l’avocate d’affaires Lee Suet-Fern de Singapour. Mais on trouve aussi toujours pour PPR Caroline Puel, journaliste au Point, la Bulgare Meglena Kuneva, chargée de la protection des consommateurs à Bruxelles dans la première commission Barroso, chez BNP Paribas, et l’ancienne spationaute Claudie Haigneré chez Sanofi-Aventis.
Preuve qu’il a fallu chercher tous azimuts pour trouver des femmes qui acceptent, en sachant que les plus connues n’avaient pas toujours envie de cumuler les mandats.
De quoi réfléchir sérieusement à la méthode des quotas. « Il existe une inversion de tendance aujourd’hui, les grandes entreprises veulent toutes des administratrices pour obéir à la loi. Je suis cependant contre les quotas, choisir une femme uniquement parce qu’il faut remplir des quotas me semble dérisoire. Il vaudrait mieux les nommer pour leurs qualités : elles sont en général moins langue de bois que les hommes, plus franches, plus directes », commente Catherine Euvrard, présidente de CE Consultants, un cabinet de chasse de têtes. Peut-être faut-il enfin considérer que si les femmes peuvent être les piliers d’une entreprise comme elles ont été longtemps les piliers d’une famille, elles ont aussi de grandes capacités de créativité.
C’est un manque « crucial d’énergie féminine » que déplore de son côté Bruno Van Overtveld, directeur général développement du groupe Stanton Wallace. « On recrutera plus volontiers des cadres femmes dans le conseil, les systèmes d’information, pour mettre en place une stratégie, une organisation, et de plus en plus dans les métiers de services », ajoute-t-il.
Comme il va falloir plus de dirigeantes, les grands groupes ont décidé d’anticiper et de préparer les hauts potentiels. « Ils essaient de rendre les femmes plus visibles, de les pousser à réseauter. Ils les aident davantage à grandir au sein de l’entreprise. Je coirs beaucoup à la génération des 40 ans, qui s’assume, qui n’a pas peur de paraître sexy tout en assurant parfaitement au travail. Contrairement aux quinquagénaires, qui ont dû parfois se masculiniser, se durcir, pour se défendre dans un milieu d’hommes », analyse Claire de Montaigu. La loi sur les quotas peut sembler artificielle, entraîner des choix alibis. Ce qui est sans doute en partie vrai.
Pourtant, selon Damien Crequer, associé du cabinet Taste rh, spécialisé dans les médias, et membre de « À compétence égale », une association de cabinets de recrutement qui entend lutter contre la discrimination à l’embauche. « Ces quotas ont un effet de petit vent médiatique porteur, qui pourrait encourager le recrutement des femmes. C’est vrai que la parité est devenue une thématique à la mode, mais on assiste réellement à une montée en puissance des femmes dans la société. Elles ont tendance à brider leurs ambitions dès le plus jeune âge, il existe une vraie différence de projection avec les garçons. Et quand elles ont des enfants, elles s’excluent souvent de la compétition pour des postes de direction. Il faut changer le regard sur les parcours féminins, les rendre plus positifs, admettre enfin qu’ils sont compatibles avec un poste dans un codir. »
Le jour où une candidate à un poste de responsabilité ne dira plus d’un air empressé : « J’ai des enfants mais cela ne pose aucun problème, je gère très bien mon emploi du temps » ou variante : « mais ils sont grands maintenant » sera sans doute la marque du vrai progrès.