Blanchiment, l’infraction absolue
Suite à la transposition de différentes directives européennes sur le blanchiment d’argent sale, susceptible de financer le terrorisme international, les avocats se retrouvent confrontés à l’obligation de dénoncer certains de leurs clients. Interview de William Feugère, avocat spécialiste de la question.
William Feugère, avocat chez Campbell, Philippart, Laigo & Associés, membre du Conseil de l’ordre et de l’ACE (Association des avocats conseils d’entreprises), est un spécialiste des questions de blanchiment. Comme de nombreux autres membres du barreau, il est inquiet de l’obligation faite aux avocats de « dénoncer » aux autorités une éventuelle opération de blanchiment. Ce qui menacerait l’intégrité du secret professionnel, même si cette « déclaration de soupçon » ne s’applique pas aux informations recueillies lors de consultations juridiques ou aux activités liées à une procédure juridictionnelle.
Que pensez-vous de la déclaration de soupçon ?
William Feugère : Cette obligation pose problème par rapport au secret professionnel. Franchement, on ne peut pas conseiller quelqu’un s’il ne peut pas parler librement, il ne pourra plus avoir totalement confiance en nous. Cette déclaration de soupçon obligatoire a d’ailleurs été fortement contestée par la profession.
Mais qu’en est-il alors de la lutte contre le blanchiment ?
W. F. : Nous avons des obligations de prévention : connaître son client, vérifier son identité, recueillir les plus de documentation possible, identifier le bénéficiaire réel d’une transaction, l’origine des fonds, le détenteur du capital, etc. Nos moyens de vérification demeurent limités. On peut regarder la personne morale d’une société dans le Kbis mais il peut y avoir aussi des prête-nom. On pensait pouvoir se référer aux banques, mais les banquiers nous opposent le secret bancaire. On nous propose également des logiciels de détection, qui permettent de trouver des personnes sur liste noire. Mais il y a fort à parier que, pour un montage financier douteux, on fasse appel à quelqu’un avec un casier vierge.
On a fait du blanchiment l’infraction absolue, d’autant qu’elle n’est plus une simple conséquence d’une autre infraction, elle est devenue autonome. Désormais l’auteur de l’infraction d’origine peut également être celui du blanchiment, ce qui n’était pas le cas auparavant. Un peu comme si le receleur était aussi le voleur. Même s’il totalise beaucoup de poursuites, ce n’est cependant pas un délit très fréquemment condamné, 126 fois seulement en 2006. On le mentionne souvent par prudence, dès le début d’une affaire par peur de passer à côté.
Que devrait faire un avocat en cas de doute face à un client ?
W. F. : Il doit se déporter. D’autant qu’il peut être poursuivi pour complicité de blanchiment et encourir des sanctions disciplinaires.
Quels sont les avocats les plus en danger ?
W. F. : Deux catégories : le jeune avocat qui manque d’expérience et celui qui ne connaît rien au pénal. D’où l’intérêt de suivre une initiation à la lutte contre le blanchiment.