Entreprises : un discours durable mais contradictoire
Comment parler de développement durable sans être suspecté de démagogie ? L’association Ujjef et le cabinet Inférences viennent d’étudier sur le plan sémantique le discours des entreprises sur le développement durable. Interview de Jean Laloux, directeur d’Inférences, en charge de l’étude.
Contraintes ou volontaires, les entreprises déploient un discours corporate abondant à travers rapports annuels ou sites Internet. Mais pour dire quoi au juste ? C’est à cette question que l’Ujjef et le cabinet Interférences ont répondu en réalisant une analyse sémantique en septembre 2009 à partir d’un panel de 45 entreprises représentant 19 secteurs d’activités. Pour Boris Eloy, le président de Ujjef, association spécialisée dans la communication corporate, le développement durable est bien une réalité dans les discours des entreprises. « Quoi qu’on en dise, il est devenu une question opérationnelle pour les grandes entreprises et non un simple enjeu d’image », indique-t-il.
Par quoi est marqué le discours corporate sur le développement durable des entreprises ?
Jean Laloux : Du point de vue sémantique, leur discours révèle un univers de contrôle, de mesure (20%) et du volontarisme (20%). Par exemple, les termes tels que « développer », « engager », « continuer » sont souvent cités. Mais face à ce volontarisme, le discours évacue la question des contradictions inhérentes au développement durable. Tout d’abord, les entreprises sont encore loin d’un changement de paradigme. Elles veulent changer, mais restent concentrées sur la performance économique. Quand elles parlent de développement durable, elles pensent majoritairement à leur développement tout court. Ensuite, les dirigeants touchent les limites du court-termisme : on veut aller vers autre chose mais il y a une absence d’une stratégie « développement durable ».
Le temps du « greenswashing » est-il passé ?
J. L. : Les entreprises engagent de réelles initiatives. Auparavant, elles affichaient un engagement sans preuve concrète et mesurable. Aujourd’hui, dans l’analyse des champs sémantiques, on est dans la « norme », le « contrôle », la « mesure ». Désormais, le temps du « greenspeaking » est peut-être à venir. Le dirigeant a certes la volonté claire d’assumer une stratégie développement durable mais il pourrait s’agir de petites « mesurettes » . On le voit sur les mots employés : les connecteurs d’addition dans leur discours sont les plus nombreux (70%) « et », « de plus », « en autre ». Il s’agit plus d’accumulation que d’une réelle démonstration.
Quel type de communication prônez-vous ?
J. L. : Ne plus faire ce qui se fait, voici le mot d’ordre. Aujourd’hui les entreprises doivent assumer leurs contradictions et justifier leurs choix. On arrive au bout de cette communication plate, peureuse, pour arriver à quelque chose de plus audacieux. Il faut créer des lignes de partage, être dans une communication stratégique, un discours politique et l’assumer. J’invite les entreprises à poser leur communication et à ne pas taire leurs paradoxes. Sinon on se trouve dans le « je ne peux plus rien faire ». Il y a une vraie attente de ce côté là.